Dernière mise à jour : 04/05/2003
Mes chers,
Bien que verbalement, et sur le champ, j'ai
refusé d'être le parrain de votre fille, j'ai senti le besoin de m'étendre
davantage sur les raisons de ce refus.
Auparavant, un dimanche matin, j'étais
infligé d'apprendre par hasard que son grand frère était à la messe avec sa
maman.
Bien évidemment, vous avez choisi d'avoir des
enfants, et je suis convaincu que vous faites de votre mieux pour les élever
selon vos convictions. Comme vous le savez fort bien, des convictions, j'en ai
aussi ! Et je les assume d'autant plus qu'il m'a fallu du temps, et de l'effort,
pour les atteindre.
J'aurai voulu que les enfants, tous les enfants
du monde !, apprennent toutes les mythologies, y compris celle du christianisme
; qu'ils apprennent les origines et les évolutions historiques des religions[1]
; qu'ils comprennent par exemple pourquoi le bouddhisme est tellement plus
enrichissant et plus tolérant que les 3 religions monothéistes.
Les croyances, toutes les croyances, ont toujours
joué le rôle de "substitut" de l'explication scientifique. Ici, je
vais me contenter de citer quelques phrases d'un livre admirable[2]
qui explique ceci mieux que moi :
Les divers mythes
sur l'origine du monde matériel, des espèces animales ou de l'homme
témoignent de ce refus de l'inconnaissable, prélude à une première
"mise en ordre" taxinomique
de l'Univers, "forme timide et balbutiante de la science". Ces
substituts de causalité ont suffi à un moment donné de l'histoire, ou
suffisent encore, en l'absence de données plus aisément assimilables, pour
combler d'inquiétantes lacunes du savoir. Former l'enfant à la critique
rationnelle, et l'aider très tôt à s'informer des données de la science,
constituent des avantages sélectifs importants dans cette lutte incessante des
croyances entre elles, et des croyances contre la science. (souligné par
moi.)
Je peux en donner tant d'exemples d'une
éducation qui pourraient développer la curiosité naturelle des enfants,
l'éveiller à la beauté tout en la chatouillant. Une éducation qui leur ferait découvrir le plaisir de comprendre le
monde environnant.
Ayant les pieds sur terre, je suis trop lucide
pour ne pas constater l'immense gouffre entre mes souhaits et les sociétés
actuelles. Ceci vient en tête des raisons qui m'ont découragées de procréer
personnellement (au moins intentionnellement !).
Bien évidemment, et peut-être même
malheureusement, la décision d'envoyer votre fille au catéchisme vous
appartient, au moins pour quelques temps, avant sa révolte tant espérée de ma
part ! Mais l'idée même que ma filleule doit avaler les "vérités
révélées", de surcroît au 21ème siècle, m'est réellement
insupportable. Et je crains fort d'en souffrir. Or, comme vous le savez très
bien, j'aime trop la vie pour apprécier la souffrance, ni pour moi ni pour
autrui !
Étant, peut-être trop, bavard sur ma philosophie de
la vie, je sais que vous la connaissez suffisamment pour comprendre à quel
point cela heurtera mes convictions les plus profondes. Rien qu'en parcourant ce
site, vous ne trouverez que des raisons supplémentaires !
J'insiste sur le fait que je respecte vos croyances
personnelles. Dans le domaine des idées, au moins depuis quelques années, je
n'ai aucune, mais vraiment aucune !, envie d'imposer quoi que soit à qui que ce
soit. Déjà il y a près de 8 siècles, l'immense Hâfez, que je vois tellement
plus grand que n'importe quel soi-disant messager (prophète), disait :
Ne cherche à
nuire à autrui, et fais tout ce qui te plaît,
Car dans notre
conduite, point d'autres péchés !
J'ai envie d'insister sur "tout
ce qui te plaît". A qui la faute si nous ne sommes que des nains
face aux géants de sa trempe ?
La voie des plaisirs est sans fin, et dans notre
passage ici-bas, la seule avancée qui vaille, c'est l'avance que l'on a
pris sur cette voie. Plus tôt on l'entame dans la vie, mieux c'est.
Ayant la faiblesse, presque congénitale, de vouloir
toujours mettre les points sur les "i"s, j'ajoute enfin que, bien
évidemment, je reste persuadé que ceci ne changera en rien notre relation.
Très amicalement,
Un hédoniste terrien !
[1]Au lieu de bourrer les crânes innocents des "âneries" comme "le pêché originel" et le paradis après le mort, n'est-il pas infiniment plus intéressant de leur apprendre que le concept, et même le mot "paradis" dans christianisme était pris du zoroastrisme. Et remonter plus loin pour dire que ce mot désignait le jardin en ancien Persan ?
[2] " Matière à pensée", Jean-Pierre Changeux et Alain Connes, Éditions poches Odile Jacob, avril 2000, pages 255-256