Dernière mise à jour :  01/06/2003

 

« Le germe de l'art de penser est dans nos sensations »

Etienne Bonnot de Condillac (1746)

sentir, sens

Enrober les concepts simples dans les périphrases compliqués cache souvent les volontés mystificatrices. Aussi simple et "banal" qu'il soit, sentir est l'activité fondamentale et l'essence de notre vie. Dans l'épistémologie non-cartésienne, Gaston Bachelard disait :

" ... je change avec ma sensation qui est, dans le moment où je la pense, toute ma pensée, car sentir c'est penser dans le large sens cartésien du cogito."

La partie étymologie de "grand Robert" est vraiment décevante. La plupart des temps elle se contente de donner le mot latin. Il y a un réel recul par rapport à "grand" Littré (il ne s'agit pas de même grandeur), surtout si on considère l'énorme progrès des sciences linguistiques dans le 20ème siècle (en particulier la connaissance de ce fameux Proto-Indo-Européen qui m'enchante).

Sachant que ces deux mots, sentir et sens, viennent de la même racine "sent-" , on dirait que nos ancêtres ont d'abord utilisé leurs facultés (sens) pour "se retrouver" (dans quel sens aller ?), et ensuite cela leur a servi à définir une signification (sens) à leur vie !

La même chose se voit dans le persan : le mot "su" veut aussi bien dire "la direction" (plus proche de l'allemand "sumo") que la lumière (ce deuxième emploi étant moins fréquent, certain persanophones peuvent me demander un exemple. Je leur donne alors l'expression comme "cashm e kam-su"). La parenté entre sentir et "sûtan" en Pehlevi (persan avant l'Islam) qui s'est transformé en "sudan" après l'islam est plus évident. Voilà que philosophiquement cela devient intéressant :  d'un côté, "sud" (Pehlevi "sut") veut dire "fruit, bénéfice", et de l'autre ce verbe "sudan" a pris le sens de "user", notamment par la vie (Khayyâm disait : "az dâs e spehr e sar-negun sude shodim"), ou encore ce quatrain du maître Khayyâm :

Gardun negar i ze qadd e farsude ye mâ'st.
Jeyhun asar i ze ašk e pâlude ye mâ'st.
Duzax šarar i ze ranj e bihude ye mâ'st.
Ferdows dam i ze vaqt e âsude ye mâ'st.

La voûte céleste est le reflet de notre silhouette usé.
L’Oxus, la trace de nos larmes limpides, épurées.
L’enfer est une étincelle de nos vains tourments.
Le paradis, un instant de notre répit, apaisé.

Les termes farsude (usé complétement) et âsude (le contraire de sude) sont toujours très utilisés.

Voyez-vous comment un simple mot peut contenir tout un monde ??

Voyez aussi Sens.


voir l'étymologie du mot "Widdershins" dans your dictionnary (Home) qui dit : Latin sentire "sense, feel" since both go back to an original root *sent- "go in or choose a direction."

première rédaction : 11 oct. 2002