Pas de visa américain pour le cinéaste iranien Kiarostami

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 21.09.02

L'OBTENTION d'un visa pour les Etats-Unis n'a jamais été facile. Chacun peut comprendre, par les temps qui courent, que la situation ne s'est pas améliorée, a fortiori quand on est ressortissant iranien. On pourrait donc juger la mésaventure qui suit comme une anicroche, si ce n'était qu'elle arrive à l'un des plus grands cinéastes du monde, Abbas Kiarostami, invité à se rendre en Amérique par des instances aussi respectables que le Festival international du film de New York, l'université de Columbus (Ohio) et l'université Harvard (Boston) pour y présenter, le 28 septembre, son nouveau film, Ten, sorti mercredi 18 septembre en France.

Abbas Kiarostami, qui est à Paris pour cette occasion, s'est heurté, au consulat des Etats-Unis, aux nouvelles mesures prises par le département d'Etat américain contre le terrorisme, lesquelles rallongent considérablement les démarches nécessaires à l'obtention d'un visa pour les ressortissants de certains pays. Jack Lang, alerté par le producteur du film, Marin Karmitz, a alors tenté d'infléchir les autorités américaines en adressant un courrier, le 11 septembre, à l'ambassadeur des Etats-Unis en France, Howard Leach. En vain. Le 16 septembre, il a reçu une réponse du consulat arguant que « la réglementation en cours prévoit un entretien obligatoire avec le demandeur, suivi d'un délai de six à huit semaines de formalités administratives pour l'étude du dossier ».

Interrogé par Le Monde sur le fait de savoir si un cinéaste de cette envergure, qui n'a jusqu'à preuve du contraire de leçon d'humanisme à recevoir de personne, ne pouvait bénéficier d'un examen plus raisonnable de son dossier, Richard Lankford, responsable du service de presse de l'ambassade, confirme : « La réponse est non. » Cette triste affaire, qui témoigne selon Jack Lang « d'un isolationnisme intellectuel et d'une ignorance confinant au mépris pour les autres cultures » et qui met Marin Karmitz en rage, a inspiré à Abbas Kiarostami une lettre infiniment plus persane adressée au directeur du festival de New York, Richard Pena, pour y « justifier » son absence. Du moins, le cinéaste aura-t-il ainsi échappé au sort dévolu à son compatriote Jafar Panahi, récipiendaire du Lion d'or à Venise en 2000 pour son film Le Cercle, lequel, bel et bien arrivé à New York en mai 2001 pour y recevoir le Prix de la liberté d'expression, s'y était vu aussitôt jeté manu militari en prison, puis expulsé du pays sans autre forme de procès...

JACQUES MANDELBAUM