Le Conseil constitutionnel ampute la réforme du licenciement

Le PCF est « indigné », la droite et le patronat se félicitent

Article paru dans l'édition du 15.01.02

Pour la CFDT, c'est la conséquence du manque de « concertation » avec les partenaires sociaux


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A LOI de modernisation sociale fut une belle victoire, aux yeux du PCF et de Robert Hue. Soucieux des équilibres de sa majorité, Lionel Jospin avait cédé des avancées significatives. Dimanche 13 janvier, au lendemain de la décision du Conseil constitutionnel qui censure la nouvelle définition du licenciement économique, le président du PCF se dit « indigné » et « très en colère ». « Inacceptable », la décision du Conseil marque, selon lui, « le succès de l'ultralibéralisme ».

Le candidat communiste à l'élection présidentielle estime que « le Conseil savait parfaitement que ce n'était pas contre la liberté d'entreprendre mais contre les licenciements boursiers » que le Parlement avait modifié la définition du licenciement. « C'est en cela, dit-il, qu'il fait prévaloir une opinion très politique, épousant les thèses de la droite et du Medef. » M. Hue ajoute que « cette décision crée un précédent grave ». « A cent jours de l'élection présidentielle, la situation est extrêmement sensible. Les plans sociaux vont se poursuivre. Personne ne comprendrait si le gouvernement ne réagissait pas », estime-t-il. « Je ne me laisserai pas faire et prendrai mes responsabilités en continuant à mobiliser les salariés, et en particulier ceux concernés par des plans sociaux », menace-t-il.

A gauche toujours, le candidat des Verts à la présidentielle, Noël Mamère, a qualifié la décision du Conseil de « réactionnaire » et « provocatrice », alors que les plans sociaux chez Marks and Spencer et chez Moulinex concernent « à 99 % des licenciements résultant de réorganisations ». « C'est un recul grave que d'avoir mis en cause cette disposition qui n'était pourtant qu'un pis-aller », a déclaré M. Mamère. Si Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS de l'Assemblée nationale, s'en est tenu à la position de Mme Guigou, le député Eric Besson (Drôme), secrétaire national à l'emploi du PS, a jugé « extrêmement contestable » et « regrettable », la décision des juges de la Rue Montpensier.

Jean Le Garrec (PS), président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, la « regrette énormément ». Arnaud Montebourg (PS, Saône-et-Loire) s'est interrogé : « Que reste-t-il de la souveraineté des députés ? » avant d'ajouter qu' « il est grand temps d'envisager une rupture institutionnelle » qui passe, notamment, par « l'abolition du Conseil constitutionnel dans une nouvelle République ».

A droite, Michèle Alliot-Marie, présidente du RPR, a appelé à « retrouver le chemin du dialogue social ». Nicolas Sarkozy, invité dimanche du « Grand Jury RTL- Le Monde -LCI », rappelle que « c'est la huitième fois que sur un grand texte le gouvernement se fait censurer » et se félicite que les juges constitutionnels aient réparé une « erreur économique ».

L'ancien ministre du travail et des affaires sociales, Jacques Barrot (UDF) juge cette décision « opportune » pour « la création d'emplois et les travailleurs ». Quant au délégué général du mouvement centriste, Hervé Morin, il a prévu qu'après la décision sur le financement des 35 heures, puis celle sur le droit de licenciemement, le gouvernement « tombera une troisième fois, sur le statut de la Corse ».

Les libéraux se sont réjouis franchement. Dimanche, au micro de Radio-J, Alain Madelin, président de Démocratie libérale et candidat à l'Elysée, a qualifié le texte censuré de « loi de ringardisation sociale » et de « loi spectacle ». De son côté, Jean-François Mattei, président du groupe DL de l'Assemblée nationale, a jugé « légitime et positive » la décision du Conseil. « L'objectif du gouvernement, n'était pas de sauvegarder l'emploi dans notre pays, mais de satisfaire à une demande idéologique du Parti communiste », a-t-il déclaré. « excellente nouvelle »

A l'exception de la CGT, les premières réactions syndicales sont plutôt nuancées. Alain Deleu, président de la CFTC, a dit « comprendre » la décision, tout en soulignant que la question du licenciement économique est « l'une des plus délicates du droit social ». Pour la CFDT, qui avait « mis en garde le gouvernement contre la faiblesse de la concertation » pendant l'élaboration de la loi, cette affaire « traduit l'échec d'une méthode ». Marc Blondel, secrétaire général de FO, estime lui, que le Conseil « désavoue politiquement le gouvernement » et que le problème des licenciements économiques « reste entier ». Pour la CGT, « de tout temps, le principe de liberté d'entreprendre a été mis en avant par le patronat le plus rétrograde pour contester toute avancée sociale ».

C'est auprès du patronat, justement, que la décision des neuf juges de la Rue Montpensier a suscité le plus de satisfaction. Pour le président du Medef, Ernest-Antoine Seillière, le Conseil constitutionnel « a remis en question (...) la manière dont le gouvernement et la majorité s'étaient laissé aller à des dispositions radicalement contraires à l'intérêt de notre pays en matière d'emploi ». Nullement étonné de cette décision, il s'est dit en revanche, sur France-Inter, « plutôt surpris que le gouvernement et la majorité fassent mal leur travail dès que la passion les saisit ».

Denis Kessler, vice-président du Medef, l'a qualifiée d' « excellente nouvelle pour l'emploi ». « La définition des licenciements économiques empêchait les entreprises de mener toute restructuration et toute modernisation, avant le stade extrême précédant le dépôt de bilan », a-t-il expliqué dans un entretien au Parisien Dimanche. A la veille de son « congrès exceptionnel », mardi, à Lyon, l'organisation patronale voit, dans la décision du Conseil constitutionnel, la « confirmation » de ses analyses.

BEATRICE GURREY ET LAETITIA VAN EECKHOUT