Abbas Abdi, proche conseiller du président Khatami:
«En Iran, la démocratie prendra du temps»

Par JEAN-PIERRE PERRIN

Le jeudi 19 juillet 2001

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Menaces sur les réformes

A quelques semaines de la formation du nouveau gouvernement, des proches de Khatami ont accusé les Gardiens de la révolution de créer des réseaux de renseignement parallèles pour conserver leur mainmise sur l'Iran. «Ils dirigent un service secret parallèle à celui du ministère des Renseignements. Ils ont un nouveau système pour pratiquer des écoutes téléphoniques illégales», a indiqué Rasoul Montajabnia. «Nos opposants continueront à faire tout ce qu'ils peuvent pour bloquer les projets de Khatami et créer un climat de tensions», a-t-il ajouté, cité par l'agence officielle Irna. Impliqués dans les meurtres de dissidents, les Services secrets, avaient été profondément réformés pendant le premier mandat du président.

 

Téhéran envoyé spécial

Idéologue et proche conseiller de Mohammad Khatami, Abbas Abdi est aussi l'un des chefs du Front islamique de la participation, le parti du président iranien. Ancien membre du groupe des «étudiants de la ligne de l'imam (Khomeiny)», l'une des organisations les plus radicales sur laquelle s'appuya le fondateur de la république islamique pour éliminer les «modérés» après la révolution, il fut l'un des stratèges de la prise d'otages de 1979 à l'ambassade américaine. Devenu l'un des principaux dirigeants réformistes, il explique dans une interview exclusive à Libération les difficultés qui attendent le président iranien pour son second mandat.

Le président Khatami ne va-t-il pas rencontrer les mêmes embûches que lors de son premier mandat?

Cela va être comme avant. Car si ces embûches n'existaient pas il n'y aurait pas de raisons de faire des réformes. Il faut d'ailleurs qu'elles apparaissent pour qu'on puisse les éliminer, les digérer. Il en sera ainsi jusqu'à ce qu'on arrive à la démocratie.

Mais ces embûches, on n'a pas l'impression qu'il y en ait moins aujourd'hui que lorsqu'il a conquis le pouvoir...

Il faut regarder les meurtres en série (1). C'est beaucoup plus important que vous pouvez l'imaginer. Cela existait de longue date mais grâce à la Réforme (le mouvement initié par Khatami, ndlr), on a pu les dévoiler, ensuite y mettre fin. Avant, personne ne se réunissait pour en parler.

Mais l'enquête n'a pas été jusqu'au bout. On a arrêté Saïd Emami (2), pas les véritables instigateurs des assassinats...

Il faut faire la différence entre arriver à une vérité et arrêter un problème. Prenez l'Afrique du Sud: Nelson Mandela a cherché à arrêter l'apartheid, pas ceux qui le prônaient. Ici, on ne cherche pas à éliminer les personnes impliquées que l'on arrête. D'une certaine façon, elles sont innocentes, victimes d'un système. Le fait est qu'aujourd'hui en Iran de tels meurtres ne peuvent plus être commis. Et si cela arrive, ils ne seront pas passés sous silence et feront, de plus, l'objet d'une enquête.

Mais tous ces journalistes en prison. Quand la répression va-t-elle s'arrêter?

Si vous regardez bien, les journalistes emprisonnés se comptent sur les doigts de la main. En France, vous avez payé un prix beaucoup plus élevé pour la démocratie. Vous regardez les journaux qui ferment, moi, ceux qui ouvrent [...]. Ces journaux veulent continuer sur le chemin de la démocratie et détruire ceux qui s'y opposent. Il est normal que ces derniers cherchent aussi à détruire les journaux.

Quand même, des dirigeants de l'opposition libérale religieuse (3) sont depuis des mois en prison. Du temps de l'ex-président Rafsandjani, ils y restaient moins longtemps...

La durée n'est pas importante. A l'époque, il suffisait d'écrire un petit article pour aller aussitôt en prison. Aujourd'hui, ce n'est qu'après des discussions très longues qu'on les envoie en prison. Avant, on n'avait pas de nouvelles d'eux, on ne savait pas quel tribunal s'occupait d'eux, s'ils avaient des avocats et lorsqu'ils sortaient de prison, ils se cachaient le visage. Aujourd'hui, ils sortent la tête haute. C'est donc très différent. Avant encore, en prison, ils disaient du mal de Rafsandjani. Maintenant, ceux qui sont en prison disent du bien de Khatami. Et ils n'ont pas appelé à voter blanc mais à voter pour lui.

Mais si les réformes vont aussi lentement, ce sont plus vos petits-fils que vos fils qui vont en profiter...

On ne peut pas écourter la durée de leur mise en œuvre. Ou alors très peu. Sinon, quelque chose d'autre en découlera. La démocratie prendra du temps. Les réformes ne veulent pas détruire ceux qui sont en place et y sont hostiles mais leur faire comprendre qu'ils doivent venir dans le camp de la réforme.

Quelles seront les priorités de Khatami?

D'abord, renforcer la société civile et les organismes qui ne dépendent pas de l'Etat. Ensuite, privatiser l'économie de façon à affaiblir un peu le rôle de l'Etat. Enfin développer les médias et desserrer le monopole du pouvoir sur l'information. Si l'on arrive à ces résultats, on aura fait un grand pas en direction de la démocratie.

Craignez-vous que vos adversaires réagissent violemment?

Tout est possible en Iran. Des fermetures de journaux, des arrestations,... Mais, au regard de l'élection présidentielle, on voit que de tels actes donnent des résultats très négatifs. Les dernières arrestations (de réformateurs, ndlr) ont joué en notre faveur. Elles ont renforcé notre unité. En fait, nos adversaires ont joué toutes leurs cartes. Il leur en reste une: faire intervenir les militaires.

Vos adversaires peuvent-ils aller jusque-là?

Non. Ils peuvent arriver à cette conclusion que les militaires sont la dernière solution mais celle-ci n'est pas applicable.

Si les réformes tardent, n'allez-vous pas être dépassés par les étudiants ou la rue?

Il n'y a pas de retard dans les réformes. Simplement, tout n'est pas en notre pouvoir. Une partie du travail à faire est entre les mains de ceux qui sont hostiles aux réformes et nous devons leur faire comprendre qu'il leur faut les accepter. Si c'était facile, on irait plus vite (...).. Nous sommes aux prises avec deux problèmes: le premier est une structure antidémocratique et le second est la religion. En Europe, vous avez réglé ce problème étape par étape. Avec une structure antidémocratique (l'absolutisme monarchique, ndlr), vous avez réglé le problème de la religion. Nous, malheureusement, sommes confrontés à ces deux problèmes en même temps, ce qui nous complique la vie.

 

1) L'hiver 1998, trois intellectuels et un couple d'opposants ont été assassinés à Téhéran. C'est le président Khatami qui a mis fin à ces meurtres en série en ordonnant une enquête.

2) Un des responsables des services secrets impliqués dans les assassinats. Il s'est «suicidé» en prison avec de la mousse dépilatoire, selon la version officielle.

3) Comme Ezatollah Sahabi, dont l'état de santé inquiète beaucoup ses proches.


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